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mercredi

Les copains

Les copains

de

Jules ROMAINS



Ils étaient contents d'être sept bons copains marchant à la file,de porter, sur le dos ou sur le flanc, de la boisson et de la nourriture, et de trébucher contre une racine, ou de fourrer le pied dans un trou d'eau en criant: «Nom de Dieu !»

Ils étaient contents d'être sept bons copains, tout seils, perdus à l'heure d'avant la nuit dans une immensité pas humaine, à des milliers de pas du premier homme.

Ils étaient contents d'avoir agi ensemble, et d'être ensemble dans un même lieu de la terre pour s'en souvenir.

«Hé! Bénin!

- Quoi?

- Ce n'est pas une blague au moins, cette maison forestière?

- Une blague? J'ai la clef dans ma poche.

- Oui...mais ce n'est pas simplement une cabane de cantonnier?... ou une hutte de branchages?...

- Non, mon vieux, une vraie maison, tout ce qu'on fait de plus chouette dans le genre...Je la connais...Je ne l'ai vue que du dehors...Il n'y a qu'un rez de chaussée...mais c'est grand...trois ou quatre fenêtres de façade...il paraît que l'intérieur est très bien...une vaste cheminée, avec des réserves de bÚches...une table, des bancs, des chaises...et toute une batterie de cuisine. Qu'est-ce que vous voulez de plus? Il y a même un lit, pour ceux qui tourneraient de l'oeil».

Le questionneur se déclara satisfait, et chacun se complut à imaginer la petite maison des bois.

Ils gardèrent le silence quelques minutes.Le ciel semblait devenir plus clair encore, et s'éloigner.Les ténèbres de droite et les ténèbres de gauche cherchaient à se réunir.Pressé entre elles,le chemin perdait sa lumière peu à peu.

«Bénin!

- Quoi?

- Tu es bien sûr de ta route?

- Mais oui!

- Parce que je trouve que ça monte de plus en plus...»

Le terrain était si pénible que la file tendait à se disloquer.Chacun se tirait d'affaire de son côté, et comme il pouvait, au milieu des ronces, des troncs et des trous.On s'ingéniait à préserver les bouteilles et la vaisselle.Les personnes elles-mêmes avaient moins d'importance.

Bénin s'arrêta:

«Ne nous lâchons pas!...ne semons pas les derniers!...ça serait affreux.Tout le monde est là? »

Les traînards se rapprochèrent.

«Quatre...cinq...six...Et Martin? Où est Martin?

- Tiens! c'est vrai!

- Toi,Omer, tu étais l'avant-dernier...qu'est-ce que tu as fait de Martin?

- Ma foi...il marchait encore derrière moi il a trois minutes...je pensais qu'il me suivait.

- Oh! le pauvre diable! Il est peut-être tombé, ou il nous a perdus...il y a eu un petit tournant tout à l'heure...»

Tous se mirent à crier:

«Martin! Martin!»

Leurs coeurs battaient vite; leurs gorges se serraient.Il avaient beaucoup de peine,soudainement.

«Martin! Hé!Martin!

- Attendez!...Je vais redescendre un peu...Vous, continuez à crier!...»

Omer, dégringolant la pente, disparut derrière les feuillages.De temps en temps, les copains poussaient un appel.Lesueur avait posé son sac sur une roche moussue.

«Les voilà!»

C'était Martin et Omer à ses trousses, comme un mouton que le chien ramène.

«Alors, mon vieux! Qu'est-ce qui t'est arrivé?

- Rien de grave,hein?»

On lui tapait sur l'épaule; on le regardait avec affection.Lui souriait, mais ses lèvres tremblaient visiblement, et ses yeux en amandes s'étaient un peu dilatés.Il finit par dire, d'une voix d'enfant qui a eu peur:

«Vous alliez plus vite que moi...je suis resté en arrière...et au tournant, je me suis trompé...il y avait une petite éclaircie...J'ai cru que c'était le chemin.

- Oui, je l'ai trouvé en plein fourré, immobile.Il ne savait plus que faire. Pauvre vieux!

- Il est peut-être fatigué.On va lui décharger son sac!

- Merci...non! Non!

- Tu nous ennuies...Et puis tu marcheras en tête, entre Bénin et Broudier. Bénin te surveillera.»

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