Pierre Reverdy
calendrier litteraire ( 11 septembre )Pierre Reverdy
(1889-1960)
Naissance : le 11 septembre 1889
Décès : 8 juillet 1962
Activité : Poète
***
L'œuvre de Pierre Reverdy, largement reconnue de son vivant, est en train de disparaître dans l'oubli. Il passe pour difficile à lire alors que nul n'a plus que lui fait acte de transparence. Même si ses poèmes sont à son image, solitaires et secrets, « de ma vie, je n'aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre », il a laissé une œuvre limpide par sa nudité, mystérieuse car elle ne cesse d'interroger le plus secret de nos existences. « La poésie de Reverdy part d'une obsession et d'une blessure mais tout dans ces poèmes s'emploie à les éluder ou à les masquer. Il fut avant tout un poète pour les poètes, et son œuvre peut être considérée comme une quintessence de la poésie contemporaine, dont la plupart des "tendances" y trouvent leurs racines » écrit Gil Jouanard.
Pierre Reverdy est né à Narbonne le 13 septembre 1889. Descendant d'une famille de sculpteurs, de tailleurs de pierre d'église, sa vie sera marquée par un sentiment de religiosité que l'on retrouve dans sa poésie. Il passe son enfance au pied de la Montagne Noire. Ses études le mènent à Toulouse où il se passionne pour Balzac et Rimbaud.
Il monte à Paris en 1910 avec le désir de se faire un nom dans les Lettres, s'installe à Montmartre et fréquente des peintres cubistes et des poètes tels Max Jacob, Pablo Picasso Juan Gris, Georges Braque, Henri Laurens, Pablo Gargallo, Henri Matisse, Fernand Léger et Guillaume Apollinaire. Il vit intensément l'expérience cubiste et poursuit une recherche exigeante voire spirituelle qui le conduira à rompre avec tout, Montmartre, la littérature, la poésie, les amis, en 1926.
Auparavant, dans les années 1912-1914, il collabore à la revue d'Apollinaire, Les Soirées de Paris. Engagé volontaire au début de la Première Guerre mondiale, il est réformé, et devient, à son retour en 1912, correcteur dans une imprimerie. Il compose alors lui-même ses premiers ouvrages qui seront publiés : en 1915, Poèmes en prose (illustrés par Juan Gris), en 1916, La lucarne ovale et en 1917 Le Voleur de Talan. D'emblée ils lui valent l'estime des écrivains de la nouvelle génération.
Pendant seize ans, il vit, survit, pour créer des livres. Seize années vouées à l'essor du surréalisme, dont il sera l'un des inspirateurs involontaire, tournant le dos à ce statut ainsi qu'aux mondanités qui s'y attachent. Il fonde en 1917 la revue Nord-Sud, s'inspirant du nom de la ligne de métro qui joint Montmartre à Montparnasse. Il publie les futurs surréalistes sur lesquels il eut une grande influence. S'y succèdent de nombreuses signatures, pour la plupart ses amis : Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Paul Dermée, Tristan Tzara et André Breton. Il impose un sens nouveau de l'immédiateté et du mystère et opère une rupture radicale avec le symbolisme, dépouillant le langage de tout artifice. La revue cessera de paraître en octobre 1918.
Breton, Soupault, Aragon et Reverdy créent ensemble en 1919 la revue Littérature. Puis, ce poète du cubisme décide à trente-sept ans de se retirer avec sa femme dans une retraite mystique. Il quitte Paris en 1926 et s'installe rue du Rôle, à Solesmes dans la Sarthe, à l'ombre de l'Abbaye bénédictine. Jusqu'à sa mort, pendant trente quatre ans, il va partager sa vie entre l'Abbaye et Paris où il se rendra à l'occasion de la parution de ses livres. Est-ce un pas vers Dieu ou un pas de recul ? La question reste posée. Les Solesmiens rencontrent souvent le poète à l'église où il semble prier avec conviction, lui qui s'est converti au christianisme depuis peu. Le béret vissé sur la tête, il passe pour un original dans le village. Cet isolement favorise sa recherche poétique, qui continue à produire une œuvre abondante. Il publie de nombreuses plaquettes dont beaucoup sont réunies dans les deux volumes Plupart du temps (1945) et Main d'œuvre (1949). À Solesmes, Pierre Reverdy a écrit une vingtaine de poèmes, notes ou contes. Son dernier ouvrage, La Liberté des mers, date de 1960.
Malade, il décède le 17 juin 1960 à 71 ans, quittant ainsi Solesmes, « cet affreux village où il fait toujours froid ».
Depuis, « dans le ruisseau il y a une chanson qui coule… », écoutez-la.
Bibliographie (extrait) :
• Plupart du temps, 1915-1922. Éditions Flammarion, 1989.
• Œuvres complètes. Éditions Flammarion, 1992.
• En vrac. Notes éternelles du présent. Éditions Flammarion, 1992.
• Le Voleur de Talan . Éditions Flammarion, 1992.
• Flaques de verre. Éditions Flammarion, 1993.
• Main-d'oeuvre, 1913-1949 (Source du vent, Ferraille). Éditions Poésie/Gallimard, 2000.
• Sable mouvant, Au soleil du plafond, La Liberté des mers suivi de Cette émotion appelée poésie. Éditions Poésie/Gallimard, 2003.
Plupart du temps
Ce recueil réunit des Poèmes en prose datant de 1915, Quelques poèmes et la prose poétique de La Lucarne ovale de 1916, et des poèmes des Ardoises du toit de 1918 de Pierre Reverdy, cet immense poète qui a mis sa vie dans ses poèmes. Le poète est bien l'homme le plus englué de tous ceux qui peuvent être sur la terre, dans la pâte épaisse de la vie, disait-il. Souffrant de solitude, de crainte de vieillir, ce Narbonnais aspirant au soleil est hanté par le sentiment de rupture de l'être et du monde, « la déception d'être et de l'être ». Il cherche à établir ces rapports. Les images de fuite, de passage abondent et le poème s'arrête sur une attente jamais comblée.
Pierre Reverdy a été le poète cubiste par excellence et l'un des inspirateurs du surréalisme. Sa poésie est toute empreinte de malaise, de spleen à l'instar de Baudelaire. On y sent un mal-être latent comme témoigne cette phrase qui ouvre La Lucarne ovale : « En ce temps-là le charbon était devenu aussi précieux et rare que des pépites d'or et j'écrivais dans un grenier où la neige, en tombant par les fentes du toit, devenait bleue. » Une poésie d'une transparence déroutante que certains qualifient d'incompréhensible car le poète s'applique à livrer le réel dans sa véracité et dans sa plénitude, en montrant simultanément les facettes diverses, opposées, voire contradictoires, d'un objet, d'un lieu, d'un instant. Son écriture impressionne et déconcerte. Nul lyrisme, nulle effusion, juste un puzzle de réalité à rebâtir, une poésie laissée au gré de chacun, à remplir de tout ce qui, de nous, y trouve à se dire. C'est un réel enchantement que cette magie verbale, que ces métaphores qui flottent autour de nos impressions et de nos actes, que ce rythme merveilleusement servi par une prose épurée, « blanche » qui en constitue tout
H O R I Z O N
Mon doigt saigne
Je t'écris
Avec
Le règne des vieux rois est fini
Le rêve est un jambon
Lourd
Qui pend au plafond
Et la cendre de ton cigare
Contient toute la lumière
Au détour du chemin
Les arbres saignent
Le soleil assassin
Ensanglante les pins
Et ceux qui passent dans la prairie humide
Le soir où s'endormit le premier chat-huant
J'étais ivre
Mes membres mous pendent là
Et le ciel me soutient
Le ciel où je lave mes yeux tous les matins
Ma main rouge est un mot
Un appel bref où palpite un sanglot
Du sang versé sur le papier buvard
L'encre ne coûte rien
Je marche sur des taches qui sont des marres
Entre les ruisseaux noirs qui vont plus loin
Au bout du monde où l'on m'attend
C'est la fontaine ou les gouttes de sang qui coulent
de mon coeur que l'on entend
Un clairon dans l'azur sonne la générale
Pierre Reverdy plupart du temps Flammarion
Les yeux inconnus
En attendant
Sur la chaise où je suis assis
La nuit
Le ciel descend
Tous ceux à qui je pense
Je voudrais être au premier jours
De mon enfance
Et revenir
M'en aller de l'autre coté
Pour repartir
La pluie tombe
La vitre pleure
On reste seul
Les heures meurent
Le vent violent emporte tout
Les yeux se parlent
sans se connaître
Et c'est quelqu'un qu'on aura jamais vu
Qu'une seule fois dans sa vie
Pierre Reverdy Ferrailles, Pierres blanches Poésie/Gallimard
Dans le monde étranger
Je peux plus regarder ton visage
Où te caches-tu
La maison s’est évanouie parmi les nuages
Et tu as quitté la dernière fenêtre
Où tu m’apparaissais
Reviens que vais-je devenir
Tu me laisses seul et j’ai peur
Rappelle-toi le temps où nous allions ensemble
Nous marchions dans les rues entre les maisons
Et sur la route au milieu des buissons
Parfois le vent nous rendait muets
Parfois la pluie nous aveuglait
Tu chantais au soleil
Et la neige me rendait gai
Je suis seul je frotte mes paupières
Et j’ai presque envie de pleurer
Il faut marcher vers cette lumière dans l’ombre
C’est toute une histoire à raconter
La vie si simple et droite sans tous les petits à-côté
Vers la froide lumière que l’on atteindra malgré tout
Ne te presse pas
Qui est-ce qui souffle
Quand je serai arrivé qui est-ce qui soufflera
Mais seul je n’ose plus avancer
Alors je me mis à dormir
Peut-être pour l’éternité
Sur le lit où l’on m’a couché
Sans plus rien savoir de la vie
J’ai oublié tous mes amis
Mes parents et quelques maîtresses
J’ai dormi l’hiver et l’été
Et mon sommeil fut sans paresse
Mais pour toi qui m’as rappelé
Il va falloir que je me lève
Allons les beaux jours sont passés
Les longues nuits qui sont si brèves
Quand on s’endort entrelacés
Je me réveille au son lugubre et sourd
D’une voix qui n’est pas humaine
Il faut marcher et je te traîne
Au son lugubre du tambour
Tout le monde rit de ma peine
Il faut marcher encore un jour
A la tache jamais finie
Que le bourreau vienne et t’attelle
Ce soir les beaux jours sont finis
Une voix maussade t’appelle
Pour toi la terre est refroidie
De loin je revois ton visage
Mais je ne l’ai pas retrouvé
Disparaissant à mon passage
De la fenêtre refermée
Nous ne marcherons plus ensemble
Pierre reverdy
Plupart du temps, Poèmes 1915-1922
La lucarne ovale
Editions flammarion
Extrait : sur >>>>>>>>>>> Plupart du temps
« Un homme fini in La balle au bond (1928)
Le soir, il promène, à travers la pluie et le danger nocturne, son ombre informe et tout ce qui l’a fait amer.
A la première rencontre, il tremble –où se réfugier contre le désespoir ?
Une foule rôde dans le vent qui torture les branches, et le Maître du ciel le suit d’un œil terrible.
Une enseigne grince –la peur. Une porte bouge et le volet d’en haut claque contre le mur ; il court et les ailes qui emportaient l’ange noir l’abandonnent.
Et puis, dans les couloirs sans fin, dans les champs désolés de la nuit, dans les limites sombres où se heurtent l’esprit, les voix imprévues traversent les cloisons, les idées mal bâties chancellent, les cloches de la mort équivoque résonnent. »
« Chemin tournant in Sources du vent (1929)
Il y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l’eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
Des voies rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d’orgue dans les sentiers
Le navire du cœur qui tangue
Tous les désastres du métier
Quand les feux du désert s’éteignent un à un
Quand les yeux sont mouillés comme des brins d’herbe
Quand la rosée descend les pieds nus sur les feuilles
Le matin à peine levé
Il y a quelqu’un qui cherche
Une adresse perdue dans le chemin caché
Les astres dérouillés et les fleurs dégringolent
A travers les branches cassées
Et le ruisseau obscur essuie ses lèvres molles à peine décollées
Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte
Règle le mouvement et pousse l’horizon
Tous les cris sont passés tous les temps se rencontrent
Et moi je marche au ciel les yeux dans les rayons
Il y a du bruit pour rien et des noms dans ma tête
Des visages vivants
Tout ce qui s’est passé au monde
Et cette fête
Où j’ai perdu mon temps
Tard dans la vie
Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place ou la foudre a frappé trop souvent
Un coeur ou chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement
Pierre Reverdy (La liberté des mers)
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