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vendredi

L’ile des esclaves, scène 10


Introduction

Marivaux observe attentivement les réalités de la vie. Il écrit des romans mais surtout des pièces de théâtre s’inscrivant dans les traditions de la Commedia dell’Arte. Il fut séduit par le comique mais rejeta le classicisme.
L’Ile des esclaves n’échappe pas à cette règle. Ce fut sa première comédie sociale où le dramaturge met en scène une situation cocasse et inattendue : celle de maîtres et de serviteurs qui sont jetés par une tempête sur une île peuplée d’anciens esclaves.
La scène 10 regroupe tous les personnages sauf Trivelin. Elle constitue le véritable dénouement de la pièce puisque chacun reprend son rôle initial

I Valeur de l’inversion des rôles :

1. Le réquisitoire de Cléanthis oppose les conditions du maître et du valet de manière rigoureuse et paradoxale. Ainsi la phrase :"de pauvres gens que vous avez toujours offensés, maltraités, accablés, tout riches que vous êtes, et qui ont aujourd’hui pitié de vous, tout pauvres qu’ils sont". Les valeurs s’y trouvent inversées au profit de la richesse morale.

2. Arlequin est ici le meneur de jeu : engageant Cléanthis à pardonner sans rancœur, il dégage la leçon morale : "quand on se repent, on est bon ; et quand on est bon, on est aussi avancé que nous." Inversée par l’épreuve, l’inégalité sociale ne se rétablit pas vraiment. La phrase d’Arlequin considère la seule dignité qui vaille, celle du cœur.

3. La surprise de Cléanthis au début de la scène, le réquisitoire qu’elle adresse aux maîtres laissent le spectateur en suspens, lui faisant douter jusqu’au bout de sa capacité à pardonner.

4. La contrition d’Euphrosine abolit sa qualité de maîtresse. Sa réplique finale promet à Cléanthis une condition fraternelle.

5. La tirade de Cléanthis marque la supériorité du valet dans la maîtrise du langage. Adressé à des maîtres silencieux, son discours est marqué par une fonction impressive lourde de reproches : questions rhétoriques, effets dilatoires, formes sentencieuses.6. Le théâtre est ici le lieu d’une utopie sentimentale, dont Marivaux nous dit le prix : le sacrifice sublime que les valets vont faire de leur pouvoir est rendu sensible par la progression dramatique, rythmée par les conseils d’Arlequin.

II Une régénération morale :

1. La scène obéit à une progression rigoureuse : d’abord étonnée de constater la réconciliation d’Arlequin et d’Iphicrate ("et notre projet ?"), Cléanthis se lance dans un vigoureux réquisitoire avant de pardonner à son tour.

2. L’entrée de Cléanthis sur la scène accroît sa différence : encore touché des larmes versées par Iphicrate et Arlequin dans la scène précédente, le spectateur ne peut manquer d’être choqué de la dureté de la servante qui rudoie encore une Euphrosine éplorée.

3. La première réplique d’Euphrosine doit être corrigée par Iphicrate, qui l’invite à prendre pour elle l’exemple de clémence donné par Arlequin. Ici encore, l’accession de la femme à la lucidité et au repentir semble moins facile que chez l’homme.

4. Le jeu scénique accentue les signes de vertu auxquels engage Arlequin : à genoux devant son maître, il invite Cléanthis à faire de même devant Euphrosine et y voit une occasion de se grandir.

5. La scène s’achève dans la tradition du drame larmoyant : protestations de tendresse, pleurs, embrassades. Le sentiment est gage de la vérité humaine.

6. Le réquisitoire de Cléanthis est destiné à toute une classe sociale ("Entendez-vous, Messieurs les honnêtes gens du monde..."), dépassant la fiction théâtrale pour atteindre le public. La comédie assume ici sa mission de "châtier les mœurs" en prônant les vertus de mesure et de bienséance.



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