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LA FONTAINE Jean de 2

Fables : livres I à IV de Jean de La Fontaine, Bernard Chédozeau.

Publié le : 16 janvier 2006


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Le Loup : - Plan physique : maigre (v. 1). - Plan psychologique : de nature sauvage et violente (v. 5), mais prudent (la forme hypothétique du subjonctif plus-que-parfait du verbe faire [eût fait] le confirme) et méfiant à la vue du Dogue (v. 7-9). Sire servait à désigner un souverain, et aussi, au temps de La Fontaine, par plaisanterie, un bourgeois. Étant donné le contexte, le mot prend une connotation ironique : le Loup prend conscience qu’il ne peut jouer le matamore royal. Le Loup royal va se transformer en humble sujet.
Le Chien : - Plan physique : fort, beau, gras, poil luisant (v. 3-4, 8-9). Il s’agit là d’un colosse car un Dogue, gras qui est un Mâtin de taille, c’est beaucoup de mots pour insister sur la grosseur de ce chien. Les mots soulignent sa puissance et justifient que le Loup n’ait point donné suite à sa voracité et à sa férocité naturelles (v. 5-6). - Plan psychologique : il est dans son tort et peut-être sur la défensive (v. 4), d’où sa politesse. On remarquera le double sens du mot poli (v. 4) ; la corpulence du Dogue autorise le Loup à penser que le Chien peut se défendre hardiment (v. 9).
La description physique des personnages prouve bien que le Loup n’est pas de taille ; il ne peut donc se battre et décide alors de changer sa manière de faire. Il est à noter que c’est le Loup qui parle le premier : les paroles sont rapportées par le narrateur qui mentionne l’humble attitude du Loup (ce qui n’est pas son habitude, mais sa maigreur lui commande ce changement de comportement). Le Loup ne l’attaque donc pas, mais l’aborde (v. 10), verbe plus approprié aux règles de la civilité. La « bataille » se livre donc par le langage, car le Loup entre en propos (v. 11), expression peut-être inventée par La Fontaine lui-même, laquelle évoque le monde de la parole et du courtisan.
Le Chien : il est sans doute en relation avec une classe sociale élevée (on pense peut-être plus à la bourgeoisie qu’à la noblesse), car son maître (v. 25) a des biens matériels (meute de chiens, v. 2) et peut le nourrir d’os de poulets, os de pigeons (v. 28) ; l’embonpoint (v. 12) du Chien en fait foi. Mais malgré le bon traitement dont il bénéficie, il reste un esclave, car non seulement il est attaché (v. 34), mais il est complètement dépendant du maître (v. 25) pour sa nourriture et son affection. Le Chien appartient donc au monde domestique : c’est un serviteur.
Le Loup : il représente celui qui va où il veut, en dépit du fait qu’il soit le hère (v. 17) dont parle le Chien. Malgré qu’il soit maigre et qu’il souffre de la faim, il ne perd pas son sens pratique, car il écoute plus qu’il ne parle : au lieu d’affronter le Chien dans une bataille, il lui parle, espérant ainsi l’amadouer. Le Loup a bien failli tomber dans le piège du Chien ; à la dernière minute, voyant le col pelé, il se ravise. Il est donc fin observateur et sa méfiance proverbiale est encore une fois récompensée. Le Loup appartient au monde de la forêt, à la liberté que procure ce vaste territoire dont il est le Sire (v. 13).
Le Chien le compare à un hère, c’est-à-dire, selon le Dictionnaire historique de la langue française, à un pauvre pèlerin ou à un soldat errant ; mais cette errance est associée, aux yeux du Chien, à celle du cancre (v. 17). On pourra noter la progression descendante qui va du repoussant au pitoyable ; jugement de valeur (cancres), jugement physique (hères et pauvres diables). Mais lorsque le Loup l’aborde, lui aussi, il est poli et l’appelle beau Sire (v. 13), reconnaissant ainsi, malgré la flagornerie qu’elle sousentend, la « royauté » du Loup. On ne peut s’empêcher de voir dans ce beau Sire (quand c’est le Chien qu’il appelle ainsi) l’attitude de celui qui se croit supérieur.
Vers 1 à 40 : la fableL’histoire est en fait racontée par le narrateur qui assume la majeure partie des paroles du Loup, puis vient le dialogue où le Chien tient une place prépondérante. Le Loup ne prononce en fait qu’une seule parole (v. 22) entre les deux explications du Chien. Dans la dernière partie de la fable (v. 34 à 40), on assiste au dialogue serré entre le Loup et le Chien.
Vers 38 à 41 : la moraleIl y a chevauchement de la fable et de la morale. Au dernier vers (v. 41), retour au narrateur. On remarquera que la morale n’est pas ici très explicite, en partie parce qu’elle appartient à l’histoire de la fable et qu’elle est exprimée par le truchement d’une réplique du Loup pour trois vers, et par une remarque du narrateur dans le vers final. La question de la narration (de l’histoire) et de la morale est fondamentale dans les Fables. On remarquera cependant que La Fontaine prend beaucoup de liberté quant à la place de la morale dans ses fables. Parfois elle est au début, d’autres fois, à la fin. Elle est souvent assumée par le narrateur, et à d’autres moments, elle vient de la bouche des personnages. Parfois elle est clairement énoncée ; d’autres fois, elle est sous-entendue. La morale est partie intégrante de la fable ; elle représente la part pédagogique du genre. En effet, La Fontaine dédie à Louis de France, dit le « Grand Dauphin », le premier recueil des Fables paru en 1668 (Je me sers d’Animaux pour instruire les Hommes1) et revient à plusieurs reprises sur cette question (voir l’annexe VII). Chez le fabuliste, la morale apparaît souvent comme une reformulation de la narration et emprunte plusieurs modes : tour à tour descriptive, discursive ou argumentative, elle permet au narrateur de prendre parti et, surtout, de s’adresser au lecteur. La morale est, chez La Fontaine, le moyen d’une prise de contact « virtuelle » avec le lecteur. Mais ce dernier ne doit cependant pas s’y tromper : dans la partie narrative de la fable, l’auteur ne cesse de pointer son nez, de sorte que s’y exerce aussi le pouvoir de la morale.
On comparera cette fable avec Le Vieux Chat et la jeune Souris (XII, 5). Dans cette dernière, la Souris tente de convaincre un Chat de ne pas la manger. Elle avance qu’elle est petite et maigre, qu’elle ne peut prétendre affamer ceux du logis (v. 4 à 8), qu’il serait préférable d’attendre qu’elle soit plus grosse afin qu’elle fasse un meilleur repas pour les enfants du Chat (v. 11-12). En réalité, elle tente de reculer l’échéance de sa mort en espérant peut-être s’y soustraire complètement. Son argumentation repose sur le fait qu’elle admet être une proie. Mais le Chat ne le sait que trop bien... Il fait valoir à la Souris qu’il connaît le discours, qu’on ne lui la fait pas ; qu’en tant que Chat, et vieux de surcroît, il compte appliquer les lois (v. 18) de la nature, que ses enfants se débrouilleront bien tout seuls pour trouver de la nourriture (v. 21), et que, quelle que soit sa taille, il la mangera. Si la vieillesse est impitoyable, comme le dit le moraliste, elle n’en suit pas moins les traits de sa nature profonde : un chat mange les souris.Le Chat ne se laisse pas fléchir par le discours de la Souris. Contrairement au Loup et le Chien (I, 5) où l’usage de la parole réussit à tirer le Loup d’affaire, ici la parole (la culture) ne suffit pas à changer le cours de l’histoire ; c’est la loi du plus fort (la nature) qui s’applique brutalement. On retrouve la même situation dans Le Loup et l’Agneau (I, 10).

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