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LA FONTAINE Jean de




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Le Loup et le Chien
Livre I - Fable 5

Publié le : 16 janvier 2006

Un loup n’avait que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde.

Ce loup rencontre un dogue [1] aussi puissant que beau,

Gras, poli [2], qui s’était fourvoyé [3] par mégarde [4].

L’attaquer, le mettre en quartiers ,

Sire [5] loup l’eût fait volontiers ;

Mais il fallait livrer bataille,

Et la mâtin [6] était de taille

A se défendre hardiment.

Le loup donc, l’aborde humblement,

Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint [7], qu’il admire.

« Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,

D’être aussi gras que moi, lui répartit le chien.

Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,

Cancres [8], hères [9], et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoi ? rien d’assuré ; point de franche lippée [10] ;

Tout à la pointe de l’épée.

Suivez moi, vous aurez un bien meilleur destin. »

Le loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?

Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens

Portants bâtons et mendiants ;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire [11] :

Moyennant quoi votre salaire

Sera force [12] reliefs [13] de toutes les façons :

Os de poulets, os de pigeons,

Sans parler de mainte caresse. »

Le loup déjà se forge une félicité [14]

Qui le fait pleurer de tendresse

Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé."

Qu’est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? -Peu de chose.

Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

Attaché ? dit le loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu’importe ?

Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."

Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encor.

Jean de LA FONTAINE

Publié le : 16 janvier 2006


[1] Chien de garde trapu, à grosse tête, à fortes mâchoires, au museau écrasé.
[2] Le texte reste ambigu sur le sens que La Fontaine voulait donner à ce mot. La polysémie est ici intéressante, car ce qualificatif désignerait autant un aspect moral que physique.
[3] Mettre hors de la voie, détourner du bon chemin. V. PRON. : Se perdre.Quoique le verbe soit employé dans la fable dans sa forme pronominale, il est permis de penser que le Chien était sorti de sa voie, de son chemin. Les deux sens seraient ici acceptables.
[4] par inattention, sans le vouloir.
[5] Titre féodal donné à certains seigneurs. - Titre honorifique que prenaient les bourgeois par plaisanterie.
[6] Mastin, XIIe ; latin populaire masetinus, de mansuetinus, du latin classique mansuetus « apprivoisé », de manere, « rester ». Grand et gros chien de garde ou de chasse.
[7] de en bon point, « en bon état ». 1. vx Bonne santé, aspect de bonne santé. 2. État d’un corps bien en chair, un peu gras.
[8] Miséreux.
[9] Homme misérable.
[10] Bon repas qui ne coûte rien.
[11] Complaire à qqn : lui être agréable en s’accommodant à ses goûts, à son humeur, à ses sentiments.
[12] Beaucoup de.
[13] Ce qu’on enlève d’une table servie (au pluriel). Reste.
[14] Bonheur sans mélange, généralement calme et durable.


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