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Réza Barahéni

Réza Barahéni

romancier, poète et critique iranien, auteur d’une cinquantaine de livres écrits en persan ou en anglais, est né à Tabriz en 1935. Il vit actuellement à Toronto, Canada, où il enseigne la littérature comparée. Trois de ses romans ont été traduits du persan en français aux éditions Fayard : Les Saisons en enfer du jeune Ayyâz, Shéhérazade et son romancier (2e édition) par Katayoun Shahpar-Rad, Élias à New York par Hamane Sahafi.


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Réza Barahéni est né à Tabriz en 1935 et habite maintenant au Canada où il est professeur.Il enseigne en effet au Centre de littérature comparative de l'Université de Toronto.

Il est l'auteur de plus de cinquante livres écrits en persan et en anglais et ses oeuvres ont été traduites dans une douzaine de langues. Il a de plus traduit des oeuvres de Shakespeare, Kundera ou Mandelstam, Andric et Fanon en persan.

Son oeuvre la plus célèbre est Les cannibales couronnés: écrits sur la répression en Iran, qui raconte ses jours passés en prison à l'époque du Shah d'Iran.

Baraheni, ancien prisonnier politique, est en effet un Azéri, ardent défenseur des droits de son peuple

Entretien avec Réza Barahéni sur site mouvement.net

il est l'un des plus importants écrivains iraniens vivants. Au croisement de ses engagements politiques, il construit une littérature de l'exil, sans cesse déplacée, qui fait ressurgir les fondements de la culture moyen orientale en les frottant aux référents occidentaux contemporains. Auteur de multiples textes théoriques et critiques, deux de ses romans sont publiés en français aux éditions Fayard ( Les saisons en enfer du jeune Ayyâz et Shéhérazade et son romancier), un troisième, New York et Elias dans le panier, est actuellement en cours de publication chez le même éditeur.

Baraheni êtes né dans le nord de L'Iran. Votre langue maternelle est un dialecte turc, l'azéri. Mais, alors que vous étiez enfant, les autorités iraniennes ont interdit cette langue et ont imposé le persan dans tout le pays. Quelle relation politique et existentielle avec le langage avez-vous construit aux travers des multiples expériences du déracinement que vous avez vécues?

L'année où je suis rentré à l'école élémentaire, en 1941, l'armée soviétique envahissait l'Iran du nord afin de se prémunir contre l'entrée du pays dans la Seconde Guerre mondiale. À Tabriz, ma ville natale, les occupants parlaient deux langues, l'une d'elle était le dialecte azéri de la République soviétique d'Azerbaïdjan, l'un des dialectes turcs les plus proches de ma langue maternelle. Dès ma petite enfance, j'ai entendu parler plusieurs langues: deux dialectes azéri, le persan et le russe. L'arabe, langage de la religion, était également présent, dans les prières, charriant un immense réservoir de noms islamiques et bibliques. Ma famille et moi, comme d'ailleurs la plupart des habitants de cette région ont vécu cette occupation comme un changement, une vitalité retrouvée. Le gouvernement démocratique autonome d'Azerbaïdjan, créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a fait de l'azéri turc la langue officielle de cette région. Nous, alors écoliers, avons été les premiers à avoir tout appris dans notre langue maternelle, mais nous avons aussi été les derniers. Lorsque le gouvernement démocratique autonome d'Azerbaïdjan a été renversé, nous avons dû tout réapprendre en persan. Le persan était devenu langue officielle dans l'ensemble du pays. Ce n'était pourtant la langue maternelle que d'un tiers de la population iranienne. Au moment du renversement, je m'occupais du journal de l'école, je l'affichais au mur. Soudain, on m'a dit de l'écrire en persan. J'ai annoncé au directeur qu'il m'était impossible de le faire parce que je ne connaissais pas le persan. Il m'a répondu en azéri qu'il allait demander à un élève d'origine perse de l'écrire. Ma mère m'a vue si triste le dernier vendredi du mois, jour où j'avais l'habitude de coller ensemble les grandes feuilles de papier pour faire le journal, qu'elle m'a demandé ce qu'il se passait. Je lui ai raconté. Elle m'a aussitôt persuadé d'écrire le journal en azéri et de l'apporter à l'école, il ne pouvait rien y avoir de mal à faire un journal dans sa langue maternelle. Je l'ai donc fait. Le lendemain, je l'ai apporté à l'école, je l'ai accroché au mur, juste à côté du journal écrit en persan. Une demi-heure plus tard est arrivé un événement qui reste dans ma mémoire comme l'un des plus traumatiques de ma vie. Quand nous sommes rentrés en classe, le directeur s'était aperçu qu'un des deux journaux était écrit en azéri, il a sonné la cloche, a appelé tous les élèves dans la cour. Alors que nous étions tous debout face à lui, un millier d'élèves, il a demandé qui avait écrit le journal en turc. Lui-même parlait en turc. J'ai dit que c'était moi. Il m'a sommé d'avancer vers lui et après avoir dit quelques mots, il m'a pris par le cou, a jeté le journal au sol, m'a forcé à m'accroupir et m'a ordonné: «Lèche-le! ». J'ai léché tout le journal, toutes les encres de couleurs. Lorsque j'ai relevé la tête, les étudiants se moquaient, riaient de voir mon visage recouvert de toutes les couleurs de l'encre du journal. (...)

Le second de vos romans publiés en français a pour personnage principal une femme, Shéhérazade. Ce personnage apparaît comme l'incarnation de la langue et l'un des narrateurs est écrivain. Un glissement, un changement de degré semble s'être opéré entre Les saisons en enfer du jeune Ayyâz et Shéhérazade et son romancier. Comment comprenez vous aujourd'hui le rapport entre ces deux romans?


Il y a une très grande différence entre Ayyâz et Shéhérazade. Dans Ayyâz, le langage et le personnage sont simultanément démembrés. Il s'agit réellement de moelle, d'os, de chair. Il y a comme vous l'avez remarqué un mélange entre le poétique et le prosaïque, mais par-dessus tout Ayyâz est le récit et la poésie de la souffrance et du plaisir. Dans Shéhérazade, c'est le roman lui-même qui subit la torture et le démembrement. Ensuite, c'est une spéculation sur le destin du roman. Shéhérazade est le roman de mes romans, mon monde fictionnel et théorique. Les quelque deux mille pages (complètement inconnues des français) que j'ai écrites auparavant traitent d'être humains réels, de la prison, de la torture, du plaisir et de nombreux personnages qui peuvent être identifiés par les gens. La préparation de la révolution, la révolution et la période post révolutionnaire sont contenues dans ces pages. C'est de la fiction qui documente l'histoire et la langue. Shéhérazade a non seulement été écrit après ces textes publiés mais aussi après un grand nombre de romans non publiés, inachevés. Shéhérazade traite d'un monde qui doit affronter diverses crises. L'espace que je crée pour la fiction est fondé sur mon imaginaire, sur ce que les diverses cultures et littératures moyen orientales signifient lorsqu'elles sont mises en relation entre elles et avec l'Occident. Tous ces espaces ne pouvaient être créés qu'à notre époque. (...)


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La Bibliothèque Censurée : en enfer
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Extrait :

A quel endroit exact de l’Histoire nous trouvons-nous ? Nous ne nous trouvons en aucun point précis de l’Histoire. Nous en sommes revenus aux commencements de la barbarie. Non, non, non ! Nous sommes dans l’Histoire ! Jamais nous ne sommes hors de l’Histoire ! Actifs et passifs, actifs et passifs, actifs et passifs, nous nous trouvons tous dans l’Histoire. L’avant-dernière fois aussi fait partie de l’Histoire, partie de l’histoire d’un effroyable rêve personnel ; l’histoire d’un effroyable rêve personnel, privé, qui m’appelle par d’obscurs signaux. L’air environnant ressemble à des sables mouvants. Un peuple immense, un peuple hurlant et clamant s’avance à présent au milieu d’une tempête de sable. C’est comme si tous les individus de l’Histoire se trouvaient enlisés dans une sablière, une mer de sable torride et houleuse. C’est l’histoire dans son intégralité qui s’avance avec nous à travers ce désert. De quel chapitre de l’Histoire s’est levée cette odeur fétide pour qu’elle soit si familière et en même temps si nouvelle, nouvelle non pas en ce qu’elle produise une impression de fraîcheur, mais en ce que, tout en étant familière, il semble qu’elle n’ait jamais existé auparavant ? Toute une pestilence a envahi l’atmosphère, c’est comme si cette infection se déposait non pas seulement sur les surfaces externes, mais aussi sur les parois intérieures de notre âme, et que les miasmes, au lieu de s’élever, descendaient jusque dans les profondeurs, imprégnant les racines les plus intimes des êtres, y laissant leurs germes putrides, et qu’elle précipitait l’âme dans la pourriture. Après avoir été atteints par elle, l’âme de l’homme ne pouvait à l’évidence que se corrompre, ses attaches se rompre, ses tissus se défaire. Des taches, des taches de plus en plus larges envahissaient le moindre recoin de cette âme.

Reza Baraheni
Extrait de Les saisons en enfer du jeune Ayyâz, Paris, Pauvert 2000

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